La première chose que j’ai voulu faire en sortant de l’école (après 3 ans de technique en Théâtre Musical au collège Lionel-Groulx et 1 an à l’École nationale de la chanson de Granby), c’est d’enregistrer un premier album. J’avais vraiment l’impression que c’était nécessaire à ce moment-là, pour pouvoir entrer officiellement dans le paysage culturel en tant qu’artiste auteure-compositrice-interprète professionnelle. Mon chum Alain et moi, on faisait déjà des spectacles en duo et on voulait enregistrer ce 1er album en commun.
L’affaire, c’est que je partais de zéro. Non seulement j’avais aucune idée comment m’y prendre et par où commencer, mais j’avais surtout pas un sous. La première chose que j’ai appris, c’est que ça pouvait coûter cher en titi. Des dizaines de milliers de dollar que j’avais pas. Mais notre devise de l’époque a été : « Let’s go on le fait, pis on s’arrangera ». On n’avait rien à perdre. Alors on s’est mis à chercher et à créer tous les moyens possibles de le payer, notre album de rêve.
1. Le Carrefour Jeunesse emploi (CJEO)
On a commencé par aller voir le CJEO pour soumettre notre projet d’album dans le cadre de Jeunes Volontaires. Alain les connaissait parce qu’ils l’avaient déjà encadré pour son premier projet de mini-album solo guitare/voix quelques années plus tôt. Jeunes Volontaires offre du soutien pour les frais de subsistances pendant la réalisation de ton projet, en plus de ressources pour aller chercher de la formation et aussi pour la réalisation du projet en tant que tel. T’es suivi régulièrement par un conseiller du CJEO qui t’aide à faire avancer ton projet dans le but de te préparer au marché du travail. Ça s’adresse aux 16 à 29 ans qui ne travaillent pas à temps plein, ni ne sont aux études à temps plein.
C’était parfait pour nous à ce moment-là, malgré que notre projet était d’une envergure un peu plus grande que ce que les fonds nous permettaient d’accomplir. Il a fallu aussi chercher ailleurs, pour arriver à payer ce qu’on avait besoin.
2. Le socio-financement
C’était en plein dans le temps où c’est devenu full à la mode. J’ai l’impression que tous mes amis ont fait une campagne de crowdfuning sur GoFundMe, Kickstarter ou Indiegogo dans ces années-là.
Le principe, c’est de demander, via les plateformes web, à ton entourage de te financer d’avance ton projet pour te permettre de le réaliser, en échange d’un produit ou d’un service que tu pourras leur offrir lorsqu’il sera réalisé. Par exemple, tu peux demander aux gens de précommander ton album (pour avoir l’$ d’avance, au moment où tu en as besoin pour payer ton studio). Tu pourrais aussi demander un tel montant en échange d’un spectacle privé ou en échange d’une chanson composée sur mesure, etc.
Ça a l’avantage aussi de créer de l’engouement autour de ton projet. Les gens qui contribuent ont hâte de recevoir leur album, ils se tiennent au courant, demande des nouvelles, en parlent à leur entourage…
Nous, notre campagne était tombée pendant les mois de nos anniversaires. C’est ce qu’on demandait à tout le monde pour notre fête, et les gens embarquaient parce qu’ils étaient heureux de nous offrir un cadeau en sachant qu’ils recevraient eux aussi un cadeau en retour.
3. Les commandites
Bon. Le socio-financement c’est le fun, mais quand t’as pas un fanbase immense encore, c’est dur de réussir à aller chercher plus que quelques milliers.
Je me suis lancé dans un gros projet impossible de demander aux entreprises de la région des commandites. Je demandais qu’ils nous aident à financer notre album en échange de publicité. Le problème, c’est que, comme je viens juste de dire, on n’avait pas un gros fanbase. Alors la publicité qu’on leur promettait était pas tellement alléchante et un peu trop risqué pour eux, malgré les faibles coûts que je proposais.
Cette méthode-là, je ne vous la conseille pas. Avec le recul, je me rends ben compte qu’elle avait pas d’allure malgré la bonne intention! Même si j’ai réussi à avoir quelques centaines de $ de cette façon-là, ça valait vraiment pas tous les efforts que j’y ai mis.
Ça pourrait marcher avec les entreprises d’amis ou de membre de la famille qui croient en vous, mais sinon… à moins que vous ayez déjà des dizaines de milliers de followers Instagram… pas sûre.
4. Du financement de la caisse ou de la banque
L’enregistrement des chansons était fait. Fallait payer pour le studio, le mix et le mastering là là (sans compter la promo qui allait suivre). On a dû aller faire une demande de financement Accord D et on a pu avoir accès à quelques milliers de plus en attendant que l’$ reviennent.
5. Un emprunt à une personne bienveillante de notre entourage
On a réussi à avoir accès à un certain montant à la caisse… On aurait eu besoin de plus, mais notre situation financière ne nous permettait pas vraiment d’avoir accès à plus. On a eu de la chance. Quelqu’un de notre entourage a cru en nous et en notre capacité à rembourser. Elle nous a prêté ce qui nous manquait. Alléluia! On s’est fait un arrangement pour la rembourser, avec un taux d’intérêt pas mal plus intéressant pour nous que celui de la caisse (merci Desjardins, mais sérieux, avoir des bons parents/amis, c’est encore mieux). Et c’était gagnant pour tout le monde.
6. Une subvention Musicaction
La raison qui lui laissait croire qu’on aurait la capacité de repayer notre emprunt, c’est, entre autre, qu’on avait fait une demande de sub chez Musicaction. On avait besoin d’$ pour payer tout le monde maintenant, mais on a été acceptés chez Musicaction pour repayer la majorité des dépenses rétroactivement. Et heureusement ! On a été chanceux, la subvention aurait très bien pu ne pas être acceptée, on peut jamais savoir.
Comme on était des p’tits nouveaux dans l’industrie musicale, pour se donner plus de chance d’être acceptés, on a fait une demande pour « Production et promotion de titres » au lieu de « Production d’un album ». On avait évalué qu’on serait moins en compétition avec les grands noms en demandant dans cette catégorie-là. Et je crois qu’on a eu raison..! La seule chose c’est qu’au lieu de demander du financement pour l’album au complet, on pouvait soumettre les coûts pour seulement 4 chansons des 11 chansons de notre album. Mais je vous dit que c’était déjà vraiiiiment mieux que rien! Pis on a engagé quelqu’un pour nous aider à remplir la demande. Ça nous a sauvé la vie.
7. Une fois l’album sorti
Enfin, le lancement d’album arrive.
On a appris qu’il y avait un programme avec la Ville de Gatineau, où on habite, pour les lancements d’albums locaux. La salle de spectacle nous coûte rien, c’est génial. On commence à vendre des albums, à vendre des spectacles qui découlent de l’album et quelques produits dérivés. Dans les mois qui suivent, on commence à recevoir aussi des droits d’auteur, des droits d’interprète et des droits de producteur.
Faut dire qu’on était à l’époque producteurs à 100% de notre album et de nos spectacles. Alors on a mis tous les efforts, mais on recevait toutes les redevances. Et c’est comme ça qu’on a réussi assez rapidement à repayer nos emprunts et à se ramasser des fonds pour se préparer à financer éventuellement un 2e album.
C’est vraiment le 1er qui est le plus dur à faire. T’as tout à apprendre. T’as aucune idée du processus de production, t’es souvent tout seul et t’as pas encore fait tes preuves. C’est moins facile d’être acceptés aux bourses et aux subventions et souvent, les professionnels de l’industries (labels, agents, etc.), vont attendre que tu prouves que ton projet roule avant de s’associer. C’est normal. Alors faut avoir le courage de foncer et faut vraiment croire en son projet pour faire sa place.
Aujourd’hui, on est rendus à notre 3e album (qu’on lance vendredi le 24 septembre 2021!) et ça me fascine de me rappeler tout ça. Maintenant on sait comment ça marche faire un album, pis on a une équipe de feu qu’on remercie tous les jours. Faire un album, ça reste encore le même projet, mais c’est une toute autre expérience (tellement moins stressant omg).
Je m’impressionne d’avoir pris autant de risques au début. Je me rappelle que je voyais ce projet-là comme une montagne, mais je n’ai jamais eu peur qu’on y arriverait pas pour autant.
« Let’s go on le fait, pis on s’arrangera. »
Ben on s’est arrangé!